Biographie de Jean Ferrat
Statufié par certains en chanteur symbole de l'engagement politique, Jean Ferrat vaut mieux que l'indignité d'être transformé en vieil épouvantail communiste. Si l'image d'un Ferrat politisé domine dans les esprits, l'homme est avant tout celui qui a su faire vibrer les cœurs avec de merveilleuses chansons – dépourvues d'idéologie – et faire aimer la poésie à des générations qui tendaient à la mépriser ou à la méconnaître.Né le 26 décembre 1930 à Vaucresson, Jean Tenenbaum naît dans une famille de commerçants. Durant l'Occupation, son père est déporté et meurt à Auschwitz ; en 1945, à l'âge de 15 ans, le jeune homme est contraint de travailler pour vivre et aider sa famille, avant de pouvoir entamer des études de chimie. Intéressé par la musique et le théâtre, il entre dans une troupe de comédiens et fréquente les cabarets, où il commence à gratter de la guitare. Ayant composé quelques chansons, il commence à envisager une carrière de musicien professionnel : devenu guitariste dans un orchestre de jazz, il ne se laisse pas décourager par quelques auditions infructueuses et abandonne la chimie pour tenter sa chance dans le spectacle, sous le nom de Jean Laroche.
Les premiers succès
Déjà sympathisant communiste, comme bien des jeunes gens de sa génération marquée par la guerre et le nazisme, le futur Jean Ferrat est un admirateur de l'œuvre poétique de Louis Aragon, alors écrivain quasi-officiel du Parti communiste français. C'est cette conjonction entre engagement politique et goût littéraire qui va signer le véritable début de sa carrière : en 1956, Jean Ferrat met en musique le poème d'Aragon Les yeux d'Elsa. C'est André Claveau, crooner à succès, qui interprète la chanson, dont la renommée apporte une certaine notoriété à son jeune compositeur. Le chanteur continue cependant de ramer ; il obtient néanmoins un engagement au cabaret La Colombe, où il assure, en compagnie d'Anne Sylvestre, la première partie de Guy Béart.
En 1958, Jean Ferrat enregistre son premier 45 tours, « Les Mercenaires », mais ne remporte pas de succès. Les choses commencent cependant à se décanter l'année suivante, grâce à sa rencontre avec l'éditeur Gérard Meys, qui lui décroche un contrat d'enregistrement chez Decca. Après un second disque, sorti sous le nom de Noël Frank, Jean Ferrat connaît enfin un début de reconnaissance avec son troisième 45 tours, « Deux enfants au soleil ». « Ma Môme », chanson présente sur le disque, connaît un succès à la radio. En 1961, Jean Ferrat est engagé pour six mois à l'Alhambra pour participer au spectacle de Zizi Jeanmaire. Il remporte le prix de la SACEM pour son premier album 25cm, Deux Enfants au Soleil, qui paraît cette même année, obtenant enfin la reconnaissance de ses pairs alors que le succès public tarde encore à venir. La reprise par Isabelle Aubret de la chanson « Deux enfants au soleil » permet à Jean Ferrat de s'imposer un peu plus. Mais le véritable déclic a lieu en 1963, avec l'album Nuit et Brouillard qui, non content de recueillir à nouveau les louanges des professionnels (Prix de l'Académie Charles-Cros), conquiert enfin le public. A 33 ans, Ferrat impose enfin sa maturité d'artiste avec des chansons puissantes, humanistes et engagées, servie par une voix sobre et pure : « Ils étaient vingt et cent, ils étaient des milliers / Nus et maigres, tremblants, dans des wagons plombés / Qui déchiraient la nuit de leurs ongles battants / Ils étaient des milliers, ils étaient vingt et cent ».
L'année suivante, Jean Ferrat obtient l'un de ses plus grands succès avec la chanson donnant son titre à l'album La Montagne : ode à l'Ardèche, région chère au cœur de Ferrat (qui s'y est installé la même année), ce titre s'impose comme le principal standard de son auteur, qui y exprime une sensibilité poétique puissamment lyrique. Loin de la caricature du communiste borné, Ferrat s'y affirme comme un auteur panthéiste, vibrant et sensible, qui trouve le meilleur de son inspiration en dehors de la politique.
L'engagement politique
La thématique politique est présente dans le disque suivant Potemkine (1965), mais Ferrat y délaisse l'idéologie au profit de l'exaltation de la fraternité (« Marin ne tire pas sur un autre marin ») et se permet d'égratigner discrètement la politique répressive de l'URSS (« Mon frère, mon ami, mon fils, mon camarade / Tu ne tireras pas sur qui souffre et se plaint »). La chanson réussit à se faire à la fois interdire de télévision par le pouvoir gaulliste de l'époque et à indisposer les autorités communistes de l'Est au point d'empêcher Ferrat de réaliser une tournée en URSS. Malgré ces polémiques, Ferrat s'impose définitivement auprès du public français, parachevant son succès par un passage en vedette à l'Alhambra. Il montre sur scène à Bobino l'année suivante. Toujours compagnon de route du communisme (il voyage en 1967 à Cuba, où il reste deux mois et demi, y donnant de nombreux concerts), Ferrat n'est cependant pas encarté au PCF et n'hésite pas à protester contre l'écrasement en 1968 du Printemps de Prague, dans la chanson « Camarade » (1970) : « C'est un nom terrible, camarade / C'est un nom terrible à dire / Quand, le temps d'une mascarade / Il ne fait plus que frémir / Que venez-vous faire, camarade ? / Que venez-vous faire ici ? / Ce fut à cinq heures dans Prague / Que le mois d'août s'obscurcit ».
Très actif au tournant des années 1970, Jean Ferrat retourne à ses premières amours en retrouvant Louis Aragon, dont il met à nouveau les textes en musique dans l'album Ferrat Chante Aragon (1971). Un de ses plus grands succès, « Aimer à perdre la raison », est également tiré d'un poème d'Aragon. Mais, en 1972, las d'exécuter des tournées à répétitions, Ferrat décide de faire ses adieux à la scène en se produisant au Palais des Sports. Se faisant plus rare, il ne revient que trois ans plus tard, avec La Femme est L'Avenir de L'Homme qui remporte un très grand succès (500.000 albums vendus en un mois), contenant une autre chanson censurée à cause de son texte relatif à la guerre du Viêt-Nam, « Un air de liberté ».
Au tournant de la décennie suivante, à l'occasion du rachat de sa maison de disques Barclay par Polygram, Jean Ferrat décide, avec la complicité de Gérard Meys, de réenregistrer une grande partie de son répertoire en vue d'en conserver les bandes : c'est plus de cent chansons qui retrouvent une seconde jeunesse et renaissent en de nouvelles versions ; 1980 voit la sortie en douze volumes du résultat de ce travail. La même année, Ferrat propose l'album Ferrat 80, qui remporte un très grand succès, et dont la chanson « Le Bilan » lui permet de régler ses comptes avec un PCF qui ne lui inspire plus guère d'illusions. Réagissant au qualificatif de « bilan globalement positif » émis par Georges Marchais au sujet des politiques du bloc communiste, Ferrat écrit : « Ah ils nous en ont fait avaler des couleuvres / De Prague à Budapest de Sofia à Moscou / Les staliniens zélés qui mettaient tout en œuvre / Pour vous faire signer les aveux les plus fous (…) Mais quand j'entends parler de "bilan" positif /Je ne peux m'empêcher de penser à quel prix / Et ces millions de morts qui forment le passif / C'est à eux qu'il faudrait demander leur avis / N'exigez pas de moi une âme de comptable / Pour chanter au présent ce siècle tragédie / Les acquis proposés comme dessous de table / Les Cadavres passés en pertes et profits ». Les ventes de cet album dépasse le million d'exemplaires.
Le retour à la scène
Veuf de la chanteuse Christine Sèvres en 1981, Jean Ferrat se retire quelques années dans sa propriété ardéchoise d'Entraigues avant de revenir avec l'album Je Ne Suis Qu'un Cri. Toujours absent des scènes françaises, il produit dans les années suivantes ses disques avec parcimonie, proposant au bout de plusieurs années de travail des chansons finement ciselées, souvent marquées par une Attitude de moraliste désabusé : l'album Dans la Jungle ou Dans le Zoo (1991) commente avec amertume l'opposition entre mondes capitaliste et communiste. Mais la véritable activité de Jean Ferrat consiste désormais en un minutieux travail d'archivage et de ressortie de son répertoire : à une intégrale 61-91 succède en 1992 une intégrale Ferrat/Aragon. Le succès du nouvel album Ferrat 95, qui comprend de nouvelles mises en musique de poèmes d'Aragon, s'accompagne d'une tournée au Québec, Ferrat sortant pour l'occasion de son retrait de la scène. Le chanteur n'en sort réellement qu'en 1998, en interprétant un titre dans un festival, et en 2002, avec l'album Ferrat en Scène, qui comprend en fait des enregistrements réalisés en public en 1991, à l'occasion d'un passage dans une émission de télévision présentée par Michel Drucker au Pavillon Baltard. C'est à ce même à Michel Drucker que Jean Ferrat fera l'honneur venir présenter ce live en 2003, sortant à nouveau de sa défiance envers la télévision pour participer à l'émission Vivement Dimanche.
Se distinguant essentiellement, ces dernières années, par ses prises de position en faveur de la chanson française de qualité, qu'il juge trop peu diffusée par les médias, Jean Ferrat a su cultiver une image de poète intransigeant et rigoureux. L'engagement politique s'est épuré pour faire place à un militantisme humaniste en faveur de la paix et de la non-violence. Si son image sympathique a pâti d'un procès intenté à une association qui avait eu le tort de mettre en ligne des paroles de ses chansons, Jean Ferrat a tracé un parcours forçant le respect par son refus des compromissions. Sans doute son image auprès des jeunes générations a-t-elle souffert de son refus des feux de la rampe ; sans doute aussi certains aspects de ses engagements peuvent-ils aujourd'hui paraître désuets. La place de Jean Ferrat au sein de la chanson française reste cependant aussi indéniable que profonde, dans le registre d'une chanson à l'écriture à la fois noble, exigeante et populaire.
Jean Ferrat vient de nous quitter, ce jour, le Samedi 13 Mars 2010 à l'age de 79 ans.Voir plus